Lorsque j’ai entamé mon stage en tant qu’enseignante de français de M1, j’étais loin d’imaginer l’aventure humaine qui m’attendait. J’avais la chance d’accompagner un groupe d’étudiants venus de divers horizons : l’Éthiopie, le Soudan, le Tchad et l’Égypte. Chacun apportait avec lui sa culture, son histoire et surtout sa langue maternelle. Très vite, je me suis posé une question : comment rendre l’apprentissage du français plus pertinent et efficace pour eux ?

La réponse m’est apparue naturellement : pourquoi ne pas utiliser leurs langues maternelles comme tremplin pour enseigner le français ?

🇪🇷 እያንዳንዱ ቋንቋ ባህላዊ እንቅስቃሴን እና የተለየ ዓለም እይታን ይዞ አለ።
📢 (Iyan’dan’du quankua bahilawi inqesqesén ina yetelayé alem iyetan yizo ale.)
(tigrinya, langue d’Érythrée et du nord de l’Éthiopie)

🇫🇷 “Chaque langue porte en elle une culture et une manière unique de voir le monde.”

Contexte

J’ai effectué mon stage d’enseignante de français de M1 au sein de l’association Tadamoon, située au Mans, du 1ᵉʳ novembre 2023 au 31 août 2024. J’y ai accompagné un groupe de 10 étudiants venant de l’Éthiopie, du Soudan, du Tchad et d’Égypte.

Lors de mes deux premières séances, j’ai pris le temps d’observer ma tutrice et de me familiariser avec la dynamique du cours. Il n’y avait pas de manuel ou de programme strictement défini, ce qui m’a offert une grande liberté dans la conception de mes séquences pédagogiques. Lorsque j’ai proposé d’intégrer les langues maternelles des étudiants pour faciliter leur apprentissage du français, ma tutrice a accueilli cette idée avec enthousiasme. Elle m’a même confié que cette approche me rapprocherait des étudiants et leur permettrait d’apprendre plus sereinement.

Un pari audacieux

Je savais que c’était un défi, car enseigner une langue étrangère en s’appuyant sur plusieurs autres représentait une approche peu conventionnelle. Mais j’étais persuadée que cela pouvait créer une connexion plus forte entre mes étudiants et moi, tout en rendant l’apprentissage plus accessible et engageant. J’ai donc décidé de plonger dans l’univers linguistique de chaque étudiant. Je me suis documenté sur l’amharique, l’arabe soudanais, le tchadien et l’égyptien. Ce n’était pas une tâche facile, mais comprendre les structures et les spécificités de ces langues m’a permis de créer des ponts avec le français.

Dès les premiers jours de mon stage, j’ai réalisé que la diversité linguistique de mes étudiants était une force et non un obstacle. Enseigner le français à des étudiants venant d’Éthiopie, du Soudan, du Tchad et d’Égypte m’a permis de découvrir les passerelles entre les langues et d’adopter une approche plus inclusive.

L’importance des langues maternelles dans l’apprentissage

J’ai expérimenté différentes méthodes d’enseignement en m’appuyant sur la langue maternelle de mes étudiants. Par exemple, je leur demandais de traduire certaines phrases du français vers leur langue pour observer les différences et les similitudes grammaticales.

Avec les étudiants éthiopiens, je faisais des comparaisons entre les conjugaisons en amharique et en français.
Avec les étudiants soudanais et égyptiens, je mettais en avant les similarités lexicales entre l’arabe et le français.
Avec les étudiants tchadiens, j’explorais les influences de leurs dialectes locaux sur leur compréhension du français.

👉 Exemple de phrase en français et en tigrinya pour illustrer une différence grammaticale :

  • 🇫🇷 “Je vais à l’école chaque matin.”
  • 🇪🇷 እየነገሰ ወደ ትምህርት ቤት እሄዳለሁ።
    📢 (Iyene’gese wede timhirt bet ihédaléhu.)

En français, on dit “Je vais” car le sujet est indispensable. En revanche, en tigrinya, le pronom personnel peut être omis car la conjugaison du verbe indique déjà qui parle. Ainsi, dans la langue de mes étudiants, il serait naturel de dire simplement “እሄዳለሁ” (Ihédaléhu, “vais”) sans forcément ajouter “je”.

Cette différence expliquait pourquoi certains étudiants omettaient parfois les pronoms sujets en français. Après cette comparaison, ils ont mieux compris pourquoi ils devaient toujours mentionner le pronom en français.

👉 Exemple de phrase en français et en arabe montrant la structure du futur :

  • 🇫🇷 “Demain, nous apprendrons une nouvelle leçon.”
  • 🇸🇩 غدًا سنتعلم درسًا جديدًا.
    📢 (Ghadan sanata’allam darsan jadidan.)

En français, “nous apprendrons” est un seul mot où la marque du futur est intégrée à la conjugaison du verbe (“apprendrons”). En arabe, le futur est exprimé avec “سنتعلم” (sanata’allam), où le préfixe “س” (sa-) est ajouté devant le verbe “apprendre” (ta’allama).

Cette différence expliquait pourquoi certains étudiants avaient du mal à conjuguer correctement au futur en français. Pour eux, il était plus naturel d’ajouter un mot distinct pour marquer le futur. Après cette explication, ils ont mieux compris pourquoi, en français, le futur se formait directement avec une terminaison sur le verbe.

En utilisant leur langue maternelle comme point d’appui, j’ai remarqué que mes étudiants gagnaient en confiance et comprenaient plus facilement les concepts du français.

L’apprentissage à travers les langues maternelles

🇸🇩 تعلم لغة جديدة هو جسر بين الثقافات.
📢 (Ta’allum lugha jadida huwa jisr bayna al-thaqafat.) (arabe)

🇫🇷 “L’apprentissage d’une nouvelle langue est un pont entre les cultures.”

Ma méthode consistait à introduire les concepts français en les reliant aux similarités ou aux contrastes avec les langues maternelles de mes étudiants. Par exemple, avec mes étudiants éthiopiens, je faisais souvent des parallèles entre les structures grammaticales de l’amharique et celles du français. J’ai remarqué qu’en mettant en avant ces ressemblances ou différences, mes étudiants comprenaient mieux certains aspects du français, comme les conjugaisons ou les accords de genre.

Avec les étudiants soudanais, j’ai mis en avant certaines similarités lexicales entre l’arabe et le français, notamment pour les mots d’origine latine ou grecque qui ont également influencé la langue arabe. Pour les étudiants tchadiens et égyptiens, l’approche variait selon les particularités de leurs dialectes. Cette méthode a permis non seulement d’éveiller leur curiosité, mais aussi de les rassurer dans leur apprentissage, car ils ne se sentaient pas totalement perdus face à une langue nouvelle.

Une expérience humaine enrichissante

Au-delà de l’aspect purement pédagogique, cette expérience a été profondément humaine. Chaque séance devenait un véritable échange interculturel. Mes étudiants étaient non seulement plus motivés, mais ils se sentaient également valorisés, car leur langue maternelle était prise en compte dans le processus d’apprentissage. Cela a renforcé la dynamique de groupe et la confiance qu’ils avaient en moi en tant qu’enseignant. Au fil des séances, une véritable connexion humaine s’est créée entre mes étudiants et moi. Chaque cours était une opportunité pour eux de partager des anecdotes culturelles, des expressions typiques de leur langue et même des chansons traditionnelles.

Un jour, un étudiant soudanais m’a dit :
🇸🇩 “من يتحدث لغتي، يفهم قلبي.” (Man yatakallam lughati, yafham qalbi.)
🇫🇷 “Celui qui parle ma langue comprend mon cœur.”

Cette phrase m’a profondément marqué. La langue est plus qu’un outil de communication, c’est un lien entre les individus.

Ce stage m’a montré qu’apprendre une langue étrangère ne signifie pas effacer les langues maternelles, mais plutôt les utiliser comme des ressources. En tant qu’enseignant, j’ai autant appris qu’eux, non seulement sur leurs cultures et leurs langues, mais aussi sur l’importance de l’adaptabilité dans l’enseignement.

Conclusion

En adoptant cette approche novatrice, j’ai vu mes étudiants progresser non seulement en français, mais aussi dans leur capacité à établir des connexions entre leur propre langue et une langue étrangère. Utiliser les langues maternelles m’a permis d’enrichir mon enseignement et de créer des liens uniques avec chaque étudiant. C’est une expérience que je n’oublierai jamais, et elle m’a prouvé que la diversité linguistique est une force précieuse dans l’apprentissage.

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